Des lieux hybrides au service des nouveaux modèles économiques
Les mutations économiques, sociales et environnementales poussent les entrepreneurs à repenser leurs modèles. Dans ce contexte, un phénomène discret mais structurant prend de l’ampleur : l’émergence des tiers-lieux. Ni bureaux traditionnels, ni simples espaces de coworking, ces lieux hybrides incarnent de nouvelles façons de travailler, produire et collaborer.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Et pourquoi sont-ils devenus des catalyseurs pour les entrepreneuriats en transition ? Explorons leur montée en puissance et les opportunités concrètes qu’ils offrent aux porteurs de projets engagés.
Qu’est-ce qu’un tiers-lieu ? Et surtout, à quoi ça sert ?
Un tiers-lieu, c’est un espace physique (souvent accompagné d’un ancrage social fort) qui réunit des acteurs aux profils variés : indépendants, artisans, associations, collectivités, startups… Leur point commun ? L’envie de mutualiser des ressources, d’expérimenter, et de travailler autrement.
Concrètement, il peut s’agir de :
- Fablabs ou ateliers partagés, pour la fabrication locale et la réparation
- Espaces de coworking, vecteurs de lien social pour les indépendants
- Ferme urbaine, tiers-lieu nourricier ou ressourcerie écologique
- Maisons de la transition ou tiers-lieux culturels
Ce que ces lieux partagent : une gouvernance souvent collaborative, un impact territorial marqué, et une volonté de répondre aux enjeux du XXIe siècle — autonomie, résilience, inclusion, réduction de l’empreinte environnementale.
Un écosystème en forte croissance
En 2018, on dénombrait moins de 1800 tiers-lieux en France. Fin 2023, ce chiffre dépasse les 3500 selon l’Agence nationale de cohésion des territoires. La crise sanitaire a joué un rôle d’accélérateur : reterritorialisation du travail, quête de sens, télétravail… Autant de tendances qui poussent à réinventer l’espace professionnel.
Le programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens », lancé par l’État en 2021 et doté de 130 millions d’euros, a aussi largement contribué à structurer le réseau des tiers-lieux via le label « Fabriques de Territoire ».
Mais au-delà des chiffres, c’est la nature des activités qui interpelle. Les tiers-lieux se positionnent désormais comme des micro-laboratoires d’innovations socio-économiques. Des espaces où l’on teste le compostage collectif et les monnaies locales… mais aussi la réinsertion par l’emploi, la relocalisation artisanale ou encore les circuits courts agroalimentaires.
Pourquoi les entrepreneurs en transition y trouvent leur place
Pour un entrepreneur engagé dans une dynamique de transition, les tiers-lieux répondent à plusieurs besoins stratégiques :
- Tester sans prendre tous les risques : ces espaces permettent d’expérimenter une activité dans un cadre souple — cuisine partagée pour lancer sa gamme alimentaire, atelier numérique pour un projet de menuiserie éco-conçue…
- S’entourer de savoir-faire complémentaires : un urbaniste côtoie un fabricant de low-tech, une designer et un maraîcher bio… Ces croisements improbables contribuent à l’émergence de projets hybrides innovants.
- Accéder à de la ressource matérielle à coût réduit : mutualisation d’outillage, impression 3D, salle de réunion équipée, logiciels partagés…
- Bénéficier d’un ancrage territorial fort : les tiers-lieux sont souvent en lien étroit avec les acteurs locaux — un atout pour construire un modèle résilient, en phase avec les besoins de terrain.
En somme, ils offrent un terreau fertile pour passer de l’idée à l’action concrète, dans une logique de coopération plutôt que de compétition.
Zoom sur trois exemples inspirants
Pour illustrer cette dynamique, voici trois tiers-lieux français ancrés dans une logique de transition économique et écologique.
La Smalah (Saint-Julien-en-Born, Landes)
Ce tiers-lieu rural réunit un café associatif, une activité de maraîchage bio en permaculture, un atelier partagé et un centre de formation autour de la transition. Des porteurs de projets viennent y tester leur activité agricole ou artisanale dans un cadre coopératif. Le succès du modèle a poussé l’équipe à structurer une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) pour en assurer la pérennité.
Les Imaginations Fertiles (Toulouse)
Installé dans une ancienne friche, ce tiers-lieu réunit des entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire, avec une orientation forte autour de l’innovation numérique responsable (design éthique, numérique utile, inclusion). Un espace de prototypage y côtoie une cantine engagée et un incubateur d’innovation sociale. Un exemple réussi d’hybridation entre révolution technologique et impact territorial.
Le Château Partagé (Rochefort-en-Terre)
Ancienne bâtisse bretonne reconvertie en tiers-lieu agroécologique. On y croise apiculteurs, artisan·e·s, jardinier·e·s et formateurs en permaculture. Le lieu accueille aussi des chantiers participatifs pour renforcer les liens intergénérationnels et diffuser des savoir-faire ancestraux. Une vraie fabrique locale de résilience.
Ce que cela change concrètement pour les porteurs de projets
Ceux qui ont franchi le pas s’accordent sur un point : intégrer un tiers-lieu accélère la maturation des projets. Pourquoi ? Parce que ces environnements encouragent le passage à l’acte. La confrontation quotidienne à d’autres entrepreneurs, la mise à disposition d’outils professionnels, l’accès à des réseaux et à de l’expertise au sein du lieu… Autant de leviers pragmatiques pour transformer une idée abstraite en offre durable.
Certains porteurs y trouvent même leur premier cercle de clients ou de prescripteurs. Quand on partage un atelier avec un graphiste ou une céramiste, les collaborations naissent naturellement.
Et pour les créateurs soucieux de leur impact ? Ces lieux constituent des boussoles précieuses pour aligner leurs ambitions écologiques et leurs modèles économiques, souvent confrontés à des arbitrages difficiles.
Quels enjeux pour la suite ?
Si les tiers-lieux offrent des opportunités indéniables, leur pérennité dépend de plusieurs facteurs :
- Le modèle économique : rares sont les lieux 100% rentables dès les premières années. L’hybridation entre subventions publiques, revenus locatifs et services mutualisés reste fragile. Il est essentiel d’avoir une stratégie financière claire — ce que beaucoup de lieux peinent encore à construire.
- La gouvernance : qui pilote, qui décide, comment impliquer les usagers ? La maturité du pilotage collectif est un critère clé pour éviter l’essoufflement ou les conflits internes.
- L’ancrage territorial : un tiers-lieu qui fonctionne n’est pas une bulle hors-sol. Il doit répondre à des besoins réels identifiés localement, dialoguer avec les collectivités, s’intégrer aux réseaux économiques existants.
Heureusement, des initiatives comme la Coopérative des Tiers-Lieux en Nouvelle-Aquitaine ou la Mednum à l’échelle nationale accompagnent ces espaces dans leur professionnalisation. Et de nouvelles formes émergent, comme les tiers-lieux d’entreprise (Orange, SNCF…), preuve que le modèle inspire aussi le monde corporate.
Et si le futur du travail passait par ces “tiers-chemins” ?
Travailler dans un tiers-lieu, c’est parfois devoir réparer soi-même sa chaise de bureau, contribuer à la programmation culturelle du vendredi soir, ou participer à une AG pour décider du changement de machine à café. Mais c’est aussi rester humain dans un monde professionnel qui s’accélère. Créer du lien, du sens, et surtout… des solutions locales aux défis globaux.
Pour les entrepreneurs d’aujourd’hui et de demain, ces espaces ne sont plus un effet de mode. Ils représentent de véritables hubs d’innovation sociale, économique et environnementale. Et une nouvelle manière de penser la réussite : plus collective, plus résiliente, plus ancrée.
Pas besoin de franchir la Loire ou de monter une SCOP pour s’en inspirer : il y a probablement un tiers-lieu à moins de 30 kilomètres de chez vous. Pourquoi ne pas pousser la porte ?