Pourquoi les navettes autonomes attirent de plus en plus les villes
Les centres urbains sont saturés. Entre embouteillages chroniques, pollution de l’air et pression foncière, les villes cherchent des alternatives concrètes pour fluidifier la mobilité tout en réduisant leur empreinte carbone. Parmi les solutions testées depuis quelques années, une innovation retient particulièrement l’attention : la navette autonome.
À la croisée des enjeux environnementaux, technologiques et organisationnels, ces petits véhicules électriques sans conducteur offrent une réponse crédible à des problématiques bien ancrées. Beaucoup y voient déjà un nouveau pilier pour la mobilité urbaine durable. Mais au-delà du buzz, que valent réellement ces navettes automatisées ? Où en est la technologie ? Quels cas d’usage fonctionnent ? Voici ce que vous devez savoir avant de vous engager.
Définition : une navette autonome, c’est quoi exactement ?
Une navette autonome est un véhicule électrique de faible capacité (en général entre 6 et 15 passagers) conçu pour circuler sur des trajets définis sans conducteur humain. Elle utilise une combinaison de capteurs (lidars, radars, caméras) et d’intelligence artificielle pour détecter son environnement, identifier les obstacles, respecter le code de la route et transporter des passagers en toute sécurité.
Contrairement aux voitures autonomes individuelles, ces navettes sont souvent conçues pour rouler à vitesse réduite (environ 20 à 30 km/h), sur des circuits courts, en milieu urbain ou périurbain. Ce positionnement en fait une solution pertinente notamment pour :
- La desserte du « dernier kilomètre » depuis une gare ou un arrêt de tramway
- La mobilité dans les zones d’activités ou les campus universitaires
- Les trajets internes dans les écoquartiers ou zones piétonnisées
Un marché en pleine ébullition – mais encore en phase de test
D’après le cabinet Allied Market Research, le marché mondial des véhicules navettes autonomes devrait atteindre 18 milliards d’euros d’ici 2030, avec une croissance annuelle moyenne estimée à plus de 20 %. En France, plusieurs villes ont déjà expérimenté cette technologie, à différentes échelles.
À Lyon-Confluence, la navette Navya circule depuis 2016 sur un trajet de 1,5 km. À Toulouse, la société EasyMile a testé un service entre deux parkings longeant la Garonne. À Châteauroux, une expérimentation dans un quartier résidentiel a démontré que 70 % des usagers se déclaraient satisfaits du service, malgré quelques limitations techniques (ralentissements dans les virages serrés, gestion imparfaite des intempéries).
Pour l’instant, la majorité des projets restent à l’état de pilotes. Mais l’apprentissage continue et les retours d’expérience s’accumulent, avec un net progrès sur les aspects sécurité, autonomie et réactivité.
Quels bénéfices pour les villes et les entreprises ?
Investir dans une flotte de navettes autonomes n’est pas seulement un geste technophile. C’est un levier stratégique qui peut générer plusieurs bénéfices pour une collectivité ou une entreprise engagée dans la transition :
- Impact environnemental réduit : propulsion 100 % électrique, faible consommation, adaptation fine à la demande.
- Réduction des coûts d’exploitation : une fois la technologie maîtrisée, les coûts d’exploitation sont significativement plus faibles qu’un service classique avec chauffeur (pas de coûts salariaux, fonctionnement 24/7).
- Accessibilité renforcée : les navettes peuvent desservir des zones peu rentables (quartiers excentrés, zones d’activités), lutter contre les inégalités territoriales d’accès au transport.
- Image innovante : pour une entreprise privée ou une collectivité, intégrer une technologie émergente démontre une volonté de modernisation et d’engagement environnemental.
Des verrous technologiques et réglementaires à lever
La technologie progresse, mais tout n’est pas encore automatisé à 100 %. Aujourd’hui, la plupart des navettes autonomes fonctionnent en “niveau 3” d’autonomie, ce qui signifie qu’un opérateur peut être requis en cas de situation inhabituelle. Certaines limitations persistent :
- Fiabilité par temps de pluie ou neige (altération des capteurs)
- Difficulté à interagir avec des piétons ou cyclistes imprévisibles
- Temps de réaction encore trop lent face à un obstacle soudain
En parallèle, le cadre légal français évolue. Depuis la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019, les tests grandeur nature sont autorisés, mais uniquement dans des conditions bien définies. Le décret d’application publié en juillet 2021 encadre les modalités de circulation des véhicules autonomes, mais il faudra encore du temps pour une intégration courante dans le trafic urbain.
Pour les collectivités, la clé aujourd’hui est donc d’intégrer ces tests dans une logique de veille stratégique, en s’associant avec des industriels, des start-ups et des laboratoires de R&D.
Quels usages concrets déjà opérationnels ?
Certains cas d’usage démontrent déjà une vraie valeur ajoutée pour la collectivité :
- Le premier/dernier kilomètre : à Paris-Saclay, une navette autonome relie le campus universitaire à la station RER. Résultat : plus de 25 % des étudiants qui empruntent la ligne affirment ne plus utiliser leur voiture pour se rendre à la gare.
- Zones fermées au trafic classique : à Val Thorens, une navette EasyMile assure des déplacements dans la station de ski, facilitant l’accès aux commerces de proximité pour les piétons.
- Parcs d’activités et sites industriels : Airbus, Michelin ou encore PSA ont testé ce mode de transport pour rationaliser les déplacements internes entre ateliers.
Dans tous ces cas, la technologie n’est pas substitutive mais complémentaire. Elle s’intègre dans une chaîne de mobilité plus large, intelligemment couplée avec les autres modes de transport (transports en commun, vélo, covoiturage…)
Quel modèle économique retenir ?
C’est souvent la question qui fâche. Le coût d’acquisition d’une navette autonome varie entre 150 000 € et 350 000 €, selon les fournisseurs et les options. À cela s’ajoutent des frais de maintenance, de supervision et d’intégration logicielle.
Mais attention : on ne raisonne pas ici en coût brut, mais en coût par usager transporté. Sur un trajet bien calibré, le retour sur investissement peut être intéressant. L’important est de ne pas s’improviser opérateur de transport. Plusieurs modèles économiques sont envisageables :
- Intégration dans une DSP (délégation de service public) locale
- Partenariats public-privé (municipalité + entreprise promotrice)
- Location ou leasing avec un opérateur spécialisé
Pour une PME ou une zone d’activités, cela peut aussi être une façon innovante de mutualiser un service de transport à faibles émissions avec d’autres entreprises du territoire.
À qui profite réellement la navette autonome ?
La première réponse : aux usagers qui se déplacent plus facilement. Mais au-delà ? Les vrais gagnants sont ceux qui anticipent. Trop souvent, l’innovation est vue comme un gadget de salon, mais les entreprises ou collectivités qui capitalisent dès maintenant sur la donnée générée (trafic, comportements de mobilité, temps d’attente, taux de remplissage) prennent une longueur d’avance dans la planification urbaine et logistique.
Et si on inversait la perspective ? Ne plus se demander si la technologie est prête, mais dans quels contextes elle apporte déjà de la valeur. C’est en expérimentant de manière ciblée, encadrée et collaborative que les usages pertinents émergent. On ne parle pas ici de science-fiction, mais d’une transition bien réelle, à l’échelle humaine.
Ce qu’il faut retenir
- La navette autonome n’est pas une solution miracle, mais une option viable à intégrer dans une stratégie de mobilité urbaine bas carbone.
- Elle fonctionne déjà dans certains cas d’usage précis, en particulier sur les trajets répétitifs, à faible trafic ou à vitesse réduite.
- Le modèle économique doit être réfléchi collectivement, avec une approche territoriale et mutualisée.
- L’expérimentation, l’analyse des données et l’implication des usagers sont les clés d’un déploiement réussi.
En résumé, les navettes autonomes constituent un levier intéressant – à condition de rester pragmatique et piloté par les usages. Pour les entrepreneurs comme pour les décideurs publics, l’enjeu est désormais d’identifier les bons contextes d’application, de s’allier aux bons partenaires, et de tester avant de généraliser. Car c’est en partant du terrain que l’innovation devient vraiment transformative.